Comment se fier à l’Allemagne ! Tout le monde a eu et a encore sous les yeux l’exemple de l’extraordinaire égoïsme germanique : à la suite de la crise de 2008 le chômage a frappé durement beaucoup de pays européens ; l’Allemagne s’est relevée très vite et a souffert rapidement d’une insuffisance de main d’œuvre ; sa réponse a été de faire venir encore plus de turcs analphabètes d’Anatolie plutôt que de tenter de favoriser les échanges de population avec la France, l’Italie ou l’Espagne. Erasmus c’est bon pour les étudiants, les échanges de main d’œuvre entre pays c’est bon pour faire venir des polonais, ou autres roumains à basses charges sociales. Ce comportement dit tout de la façon dont l’Allemagne conçoit son développement sans en parler avec ses partenaires et en particulier la France.
Le soi-disant couple franco-allemand est un leurre que trimballe la diplomatie européenne depuis le fameux préambule au traité de l’Elysée de 1963 voté par le Bundestag qui vidait ce traité de son contenu d’une alliance forte entre les deux pays et qui réaffirmait toute la doctrine atlantiste. L’autonomie allemande s’est manifestée de façon brutale, dès que fut acquise l’union avec l’Allemagne de l’Est, lorsqu’elle a accéléré l’éclatement de la Yougoslavie en 1990-1991 au mépris du droit international et malgré les doutes de la France ; l’éternel « drang nach Osten » retrouvait toute son actualité.
Mais les conditions internationales changent. L’atlantisme est en train de couler depuis qu’Obama a été élu président, et l’arrivée de Trump ne va que renforcer cette politique que l’on peut qualifier de pacifico-centrée plutôt qu’isolationiste. Les Etats-Unis se désintéressent d’un bloc européen qui n’est pas vraiment menacé, qui refuse d’assurer sa défense, alors que leur véritable sujet d’intérêt est de contenir l’influence de la Chine, au prix d’un renforcement des forces dans l’océan pacifique et d’une normalisation des relations avec la Russie.
La Grande-Bretagne se trouve confrontée à l’isolationnisme américain en pleine progression après la présidence catastrophique de Busch. Elle ne peut plus choisr entre l’Europe et le grand large. L’océan Atlantique lui est devenu infranchissable car les américains dédaignent l’alliance anglaise ; les pays du Commonwealth s’éloignent doucement mais fermement de cette communauté qui devait remplacer un empire décrépit. Et pourtant ces mêmes anglais ont proclamé par référendum tout le mal qu’ils pensaient d’une construction européenne méprisante d’une culture et d’une identité déjà passablement chahutées par les immigrés de l’ancien Empire; mais leur refus d’une construction européenne sans âme, sans identité, sans frontière, sans diplomatie, sans armée, ouverte à toutes les immigrations choisies par l’Allemagne, sans défense contre les dumpings sociaux de pays trop hâtivement agglomérés à la construction européenne, tous ces refus signifient ils un divorce d’avec le continent ? Ce n’est pas certain, et surtout ce n’est pas leur intérêt. La Grande Bretagne ne peut rester seule si elle a perdu l’appui du Commonwealth, et des Etats-Unis.
La Russie est haïe par tous les médias occidentaux pour la brutalité de son pouvoir, méprisée pour son inefficience économique, caricaturée depuis Soljenitsyne par tous les libres penseurs qui pensent correctement à l’Ouest. Mais ce pays-continent se débat dans les douleurs d’un nouvel enfantement : les 80 ans de la férocité communiste aggravée par l’humiliation de la première guerre mondiale, et la souffrance engendrée par la seconde guerre mondiale ont rendu ce pays profondément malade. Il lui faut retrouver ses origines, sa vitalité, une raison d’être. Il est confronté à une dépopulation galopante, fruit de mauvaises conditions économiques et d’une sorte de dépression collective, in fine d’absence de foi en l’avenir. Il doit affronter des ennemis solides comme les chinois qui finiront par lorgner sur la Sibérie, ou les turcs sur les républiques plus ou moins émancipées de l’Asie Centrale, ou les musulmans sur les confins caucasiens.
Si la France prend conscience que l’Allemagne ne peut être ce partenaire fiable dont elle rêvait, il lui faut commencer à infléchir sa politique étrangère pour retrouver de vieilles amitiés. L’Entente avec les anglais et les russes pour bien signifier que l’Europe n’est pas imaginable sans ces deux pays et surtout n’est pas un jouet aux mains des allemands. Le principal sujet commun entre les trois pays est cette difficulté à assumer leur passé impérial : les anglais savent que la nostalgie du rule brittania n’est plus de mise, les français en ont assez de la repentance sur le colonialisme, les russes doivent admettre que les débris de leur empire sont fragiles. Ces trois puissances qui ont été, doivent trouver de nouveaux ressorts pour exister dans le futur : l’une est ouverte vers l’Ouest, l’autre vers le Sud, la troisième vers l’Est ; à elles trois elles peuvent concevoir et appliquer une politique mondiale ; toutes trois ont conscience que leur défense doit être assurée par elles-mêmes ; toutes trois ont un poids politique avec leur droit de veto au conseil de sécurité des Etats-Unis ; toutes trois ont un besoin urgent de rebondir économiquement, la première pour retrouver un espace économique suffisant pour ne pas étouffer dans des frontières trop étroites, la deuxième pour s’affranchir d’un modèle économique qui étouffe sous les contraintes réglementaires et le court-termisme social, la troisième pour enfin développer un espace immense sans compter uniquement sur des matières premières.
Une nouvelle triple entente ne peut pas voir le jour en quelques années. Mais des pas devraient être faits dans cette voie pour se libérer de la tutelle allemande. Deux exemples immédiats sont clairs pour lancer une telle action.
Avec les anglais arrêter de vouloir sanctionner leur Brexit par un chantage qui consiste à dire qu’il ne peut y voir de libre circulation des marchandises sans libre circulation des personnes ; cette dhoxa bruxelloise est justement ce qui fait mal à notre industrie : nous sommes obligés d’accueillir des centaines de milliers d’européens de l’Est sous-payés et surtout mal couverts socialement ; au nom de quel comportement suicidaire voudrions nous imposer à la Grande-Bretagne ce que nous devrions précisément renégocier au sein de la Communauté européenne.
Avec les russes arrêter de vouloir sanctionner l’annexion de la Crimée, région qu’un caprice stalinien avait rattaché à l’Ukraine, par des sanctions économiques ; ce qu’en pense les Etats-Unis devrait nous indifférer : ce n’est pas leur zone d’intérêts ; ce qu’en pense l’OTAN devrait nous conduire à remettre en cause notre appartenance à l’alliance militaire : nous n’avons pas de raison d’être à la remorque des diplomaties de la Pologne, et de la Roumanie.
Il ne s’agit pas d’un renversement d’alliances, mais de considérer qu’il existe une communauté d’intérêts entre France, Grande Bretagne et Russie et qu’elle ne doit pas être sacrifiée sur l’autel d’une amitié franco-allemande qui a fait long feu jusqu’à présent.