Dans un article remarquable tant par la rigueur de la pensée que la clarté de l’expression le colonel Legrier pointe l’absence de vision stratégique dans la guerre menée contre Daech. Au lieu de tenter de proposer une réponse à un raisonnement percutant, la ministre de la Défense (ou l’Elysée ?) a préféré un repli sur la position la plus lâche : censurer l’article dans la Revue défense nationale. Aveu de son incompétence ou de son hébètement ?
Et pourtant sans entrer dans tous les sujets abordés par le colonel Legrier, deux au moins m’ont donné matière à réflexion : le combat au sol mené par supplétifs interposés et la destruction des infrastructures par l’attaque aérienne.
- L’utilisation de supplétifs est une vieille recette de toutes les guerres; elle permet de mobiliser des effectifs nombreux pour quadriller un territoire; effectifs souvent de plus faible valeur combative, généralement moins bien équipés; la grande tragédie de ces troupes, qui ne sont pas nécessairement des mercenaires est leur lâchage une fois atteint l’objectif qui leur a été fixé. Ce fut le triste cas des tribus de l’Indochine que l’armée française avait mobilisées contre les vietnamiens et qui furent abandonnées à un sort tragique; l’histoire a bégayé en Algérie avec les harkis qui furent largement exterminés pour ceux qui n’ont pas réussi à s’enfuir. L’abandon des tribus kurdes syriennes qui ont mené l’action au sol pour la coalition menée par les Etats-Unis est non seulement cynique mais de plus contreproductive : la guerre n’est pas terminée avec l’anéantissement de Daech, encore faut-il amener la paix sur ces territoires pour que le terrorisme islamique ne puisse prospérer. Ce n’est pas cette méthode de traiter des alliés qui va donner confiance aux populations syriennes. Qui peut croire localement en la parole de puissances qui sont incapables de protéger ceux là même qui lui ont un temps fait confiance.
- La destruction des infrastructures par des bombardements dit ciblés sur les ponts, les hôpitaux, est aussi une recette de la guerre aérienne totale qui permet de tuer à distance sans exposer ses propres troupes. Elle a fait preuve de son inefficacité sur le moral des combattants attaqués. Elle a fait preuve de sa redoutable efficacité dans l’appauvrissement des lieux visés. Là encore, pour préparer la paix les Etats-Unis suivis par la France préfèrent raser un pays ? Pour repartir de zéro ? Non, car ils ne sont pas prêts à investir dans les contrées anéanties; elles ne sont pas pacifiées et ne le seront pas tant que les gens vivront dans des ruines, avec des difficultés d’approvisionnement, de subsistance, de résistance aux fléaux de la maladie. Encore une tactique très court-termiste qui ne prévoit pas comment redresser ensuite le pays pour préparer la paix.
J’ai trouve particulièrement inappropriée le mode de guerre choisi. Au prétexte de ne pas engager, au sol, nos soldats (en dehors des forces spéciales, mais c’est un autre sujet), les autorités politiques des Etats-Unis, suivis par la France et la Grande Bretagne ont choisi de polluer l’avenir. Quant on veut faire la guerre, parce que l’on considère qu’elle est nécessaire pour notre sécurité, ou juste pour ce que nous sommes, encore faut-il prévoir de savoir comment l’achever : c’est à dire fixer des objectifs de guerre. En Syrie il fallait éliminer une organisation criminelle Daech, ce qui a été fait et préparer la pacification du pays pour que cette monstruosité ne renaisse pas … ce qui devient difficile avec les tactiques employées.