Dégringolade de l’acharnement thérapeutique. Il permettait jusqu’alors de justifier les somptueuses cathédrales hospitalières dans lesquelles les malades recevaient une once de survie ; la vie s’allongeait, à la satisfaction des soignants et des sociétés propriétaires d’hospices ; l’espérance de vie, expression remplie de promesse, grimpait jusqu’à des hauteurs qui faisaient pleurer d’émotion le futurs vieillards (enfin, pas tous, car beaucoup se méfiaient de cette fallacieuse survie dans le gâtisme et la dépendance).
Mais, soudain, surgi d’une association, aussi étrange que peu convenable, d’une chauve-souris et d’un pangolin, un terrifiant assemblage d’acides nucléiques que l’on n’ose même pas baptiser d’être vivant, est venu mettre à bas cette utopie de savants fous.
Non seulement on meurt sans être soigné : triste aveu du corps médical qui n’en peut mais; pas de remède, pas de médicament, rien, le désert des tartares en matière de soins. Mais de plus cette fâcheuse chose, du nom de Coronavirus entend prélever son dû sur tous ceux qui survivaient, malgré des maux de toutes sortes, grâce à une foultitude de procédés : mais Coronavirus entend se rattraper des années perdues et rétablir la vérité d’une mortalité trop longtemps artificiellement éludée.
La réalité s’impose et vide les asiles de vieillards de tous ceux qui y étaient déjà abandonnés aux mains d’infirmières et d’aides trop peu nombreux, de visiteurs qui n’avaient pas le goût à revoir ces images de déchéance alors qu’il était si simple de les ignorer. La vérité se fait jour, la mort a chargé le virus de faire un audit de tous ceux qui n’avaient plus les forces de vivre sans une aide médicale baroque, et de rectifier le nombre de morts qui avait été falsifié les années précédentes à coup d’acharnement thérapeutique.
Les vieux en mauvaise santé, les rescapés de combats contre le cancer, les obèses qui n’ont pas ménagé leur cœur, disparaissent tout d’un coup, à notre grand désarroi. On a d’abord essayé de pas trop compter ceux qui disparaissaient : mourir à l’asile, ça ne doit pas troubler les statistiques d’une pandémie. Puis on oublie de découvrir d’autres inégalités : pourquoi les hommes sont-ils plus frappés ? Pourquoi les suédois sont-ils largement épargnés ? Pourquoi espagnols et italiens payent-ils un tribut beaucoup plus fort que les autres ? Pourquoi … pourquoi ?
Cette faillite des traitements est la rançon d’un dysfonctionnement grave de la médecine : elle s’est orientée vers l’idée qu’il fallait sauver des vies, alors que son but aurait pu se limiter à soigner des corps et des esprits ; elle a considéré que la lutte contre la mort était un combat qu’il lui fallait mener au lieu de réfléchir plus aux conditions dans lesquelles il était nécessaire d’intervenir chez un malade. Hubris, orgueil, la sanction est brutale.