La mort a changé de nature depuis quasiment une cinquantaine d’année du moins pour ceux dont la vie n’est pas interrompue de manière violente ou accidentelle. Elle était le rendez-vous, dans les derniers jours, voire dans les dernières heures de la vie, avec son entourage et avec le mystère de l’au-delà ; elle était l’occasion de repasser en accéléré le bilan de sa vie, de rédiger un testament ou un codicille, de recevoir les derniers sacrements pour les croyants, de faire en tout état de cause un point de ce qui avait été, et de la façon dont il fallait quitter ce bas-monde. La nouvelle mort, pour ceux qui en profitent ( ?) est une sorte d’hébétude grandissante, un enfoncement progressif dans le néant, un abandon , étape après étape, de ce qui fait la vie : la mobilité, la sensibilité, le plaisir, la mémoire et puis la capacité de penser logiquement.
La mort douce, qu’il ne s’agit pas de mépriser, car la souffrance n’est pas une obligation, n’est pas non plus la panacée octroyée par des tiers, la famille, le corps médical. Dans son article le cardinal Barbarin fait l’apologie des soins palliatifs pour mieux s’élever contre l’euthanasie. Il voit dans l’euthanasie, une transgression de l’ interdit fondamental « tu ne tueras point », et une incitation au suicide.
Le problème est abusivement simplifié. Il ne s’agit pas évidemment de tuer, mais d’accomplir une volonté exprimée. La volonté de ne pas s’abimer dans le déshonneur de la dépendance, et l’indignité de la décrépitude mentale et/ou physique. Ce déshonneur et cette indignité, qui étaient rares jadis, sont devenues le lot commun. Que certains ne veuillent pas participer à cette mascarade est du libre-arbitre. Ce n’est pas une intention suicidaire, ce n’est pas casser le fil d’une destinée, c’est exprimer que lorsque son destin est accompli, sa mission remplie, il faut savoir faire ses bagages.
Alors, bien entendu, il ne s’agit pas de deviner une intention floue et mal exprimée d’un patient qui voudrait mettre un terme à ses jours, il s’agit de ne pas déposséder de son autonomie de volonté un être qui a clairement refusé des soins au-delà de ce qu’il lui semble, personnellement convenable.
L’amour ce n’est pas transformer en zombies des gens qui ne veulent pas le devenir. L’amour c’est écouter les autres. La peur, ce n’est pas celle de la mort, c’est celle de l’au-delà, et cette peur là, parfaitement respectable, dicte à chacun sa conduite : certains préfèreront une insensible agonie sous la douce surveillance d'un comité d'éthique, d’autres voudront un affrontement plus brutal et ne désirent pas se laisser dicter leur destin pas des soignants.
Aider son prochain à accomplir son destin est ce que fit le serviteur de Caton d'Utique.