Perplexité. Tout le monde comprend que la crise est beaucoup plus que financière. Certains croient avoir des pistes, d'autres hésitent entre plusieurs voies, et quelques uns se fient à des hommes politiques. Ces derniers sont peu nombreux, car qui n'est frappé par les hésitations, les approximations, les changements de pied de tous les candidats avoués ou implicite. Mais tout le monde enrage de devoir choisir entre de tels postulants. Les uns choisissent Untel parce qu'ils ne supportent pas Machin Chose, les autres veulent uniquement chasser l'équipe actuelle, d'autres s'en foutent pourvu que l'on entende leur protestation, et combien hésitent entre l'abstention, le vote blanc, ou le vote nul (sans compter les nombreux qui ne sont inscrits nulle part et dont l'opinion devrait compter quand même). Tout cela pour dire que le choix qui nous est proposé ne satisfait personne pour l'instant : un sortant qui n'a pas convaincu, un Hollande qui ne peut se targuer d'une expérience (diriger un parti ne prédispose en rien à tenir les rênes d'un état et avoir été maire de Tulles est quand même un peu mince), un Bayrou qui ne nous avait pas émerveillé lors de son passage comme ministre de l'Education Nationale, et ces trois leaders qui ne veulent à aucun prix nous décrire leur programme.
Une des conditions de la démocratie et de pouvoir changer de dirigeants, ou au moins de politique : encore faut-il que l'on nous dise pourquoi changer. Mais dans une hallucinante guerre de tranchées, aucun ne veut révéler ce qu'il entend faire. Et nous sommes tous en proie à l'horrible soupçon qu'ils n'en savent strictement rien. Alors on nous assaisonne de raisonnements spécieux :
- le sortant prétend qu'il a fait au mieux au vu des circonstances; peut-être, mais les dernières annonces (TVA sociale, Taxe Tobin, Horaires de l'Education Nationale) montrent bien qu'il sent son bilan insuffisant.
- le candidat socialiste nous assène les mots de République, Modèle Français, Jeunesse; ce n'est pas en battant le rappel d'une histoire (qui n'est d'ailleurs guère convaincante), d'un système dont tout le monde voit qu'il est bout de souffle, d'une classe d'âge (pourquoi celle-ci et pas une autre ?) que l'on a le droit de faire l'impasse sur un plan de bataille indispensable pour qui n'a jamais dirigé.
- le challenger centriste se retrouve dans la même situation en se servant de quelques autres mots, comme produire, instruire, construire; certes oui, qui ne serait d'accord; encore faut-il expliquer comment arriver à produire en continuant de subir le carcan européen (bon challenge pour cet européen convainc), comment instruire en ayant démontré son inactivisme à l'éducation nationale, comment construire un nouveau contrat social entre les individus et l'état sans remettre en cause "l'exception française ".
Cette campagne est un déni de démocratie. Elle est la preuve de la faillite des grands partis (l'UDF, le PS, le MODEM) incapables de présenter un programme adapté aux temps actuels, inaptes à faire émerger des personnalités aptes à le mettre en oeuvre. Elle est la preuve de la faillite de ce fameux théorème qui voudrait que les candidats à l'élection présidentielle ne sont pas des représentants de partis mais des êtres charismatiques qui nouent une connivence entre eux et le peuple : ils sont ou impopulaires (Sarkozy prétendu ami des riches), ou évanescents (Hollande, le capitaine de pédalo), ou rescapés (Bayrou qui croit que sa montée dans les sondages signifie autre chose qu'un désamour pour les deux chevaux de tête).
La guerre économique fait rage et les futurs chefs nous font des cachoteries sur ce qu'ils entendent faire, se limitent à quelques mesures catégorielles (et hop une risette pour les Arméniens, et hop une main amicale pour les étudiants, et hop que je suis pour le mariage homosexuel). Sinistre à pleurer : les usines ferment, les emplois disparaissent, et leurs propositions sont de mettre des bâtons dans les roues de la recherche pétrolière, de l'énergie nucléaire, de la recherche agronomique, de la circulation sur les routes. Les exclus envahissent nos rues, les précaires s'enterrent dans une vie aux abois, et l'on nous parle du pouvoir d'achat de ceux qui ont un salaire décent, de l'âge de la retraite de ceux qui ont cotisé toute leur vie, des conquêtes sociales de la fonction publique ou autre statut assimilable.
Perplexité : faudra-t-il en arriver à faire une grève générale des urnes, ou sauront-ils se ressaisir quand les flammes viendront lécher les tréteaux sur lesquels ils pérorent.