Décidément, il n’est plus possible d’ouvrir la bouche sans se faire taxer de racisme, d’homophobie, de sexisme, de provocateur public.
Un propos vulgaire de Berlusconi se bornant à afficher sa préférence comme amateur de jeunes femmes plutôt que gay se transforme en stigmatisation de la communauté homosexuelle !
Une parole de Guerlain ironisant sur une prétendue paresse des africains, devient une atteinte intolérable au souvenir de la traite négrière !
Une allusion au non-sens de la parité homme-femme et vous voilà machiste à tout jamais !
Un commentaire sur l’inflation devient une injure à Rachida Dati ! Une pancarte avec l’inscription « casse-toi pauvre con » et c’est le chef d’état qui est insulté !
Incroyable main-mise d’un nouvel ordre moral sur n’importe quel propos. Ce n’est plus l’injure qui est traquée, mais l’injure qui aurait pu être dite, le sous-entendu que l’on n’a pas entendu mais que l’on aurait pu entendre, la pensée nausébonde qui aurait pu s’exprimer mais que l’on a reniflée. La cause est entendue dès que quelques pauvres mots se sont échappés malencontreusement : ils sont significatifs d’une pensée déshonnête, ils sont inexcusables sans que soit recherché un contexte, l’intention est coupable, le balbutiement est sacrilège. Les tenants de l’ordre sont aux aguets : eux savent décrypter au premier mot, la pensée coupable sous-jacente. Les thuriféraires de toutes les mémoires sont investis de la mission sacrée de pourchasser non seulement ceux qui les insultent , mais aussi ceux qui auraient pu penser les insulter. Une seule voix clame partout qu’il faut extirper les « mauvaises pensées » de nos esprits.
Hier, en voyant le petit film « Crainquebille » adapté du roman d’Anatole France, j’ai été ému par le sort misérable de ce pauvre vendeur de maraichage entraîné dans un malheur sans fin pour avoir un moment pensé « mort aux vaches » , sans le dire, devant un représentant de la loi. La critique d’Anatole France de la bêtise humaine, acoquinée d’un zeste de méchanceté toujours camouflé dans un carcan de règles, de droits, de bonne conscience , reste sans conteste d’actualité. Une programmation d’une rare pertinence.