Pauvre Jérôme Kerviel, heureux Daniel Bouton. L’un doit essayer de regagner (une fois qu’il n’expiera plus sa peine) les quatre milliards que l’absurde précipitation de la direction de la Société générale a fait perdre en quelques jours, l’autre peut profiter tranquillement de ses retraites cumulées de fonctionnaire, et ancien salarié de la banque.
Je ne crois pas que Jérôme Kerviel conteste avoir abusé frauduleusement les systèmes de contrôle de la banque . Qu’il soit puni ne choque personne. Qu’il soit condamné à rembourser cette somme astronomique fait perdre à sa sanction tout caractère de réalité. La disproportion est ennemie de la justice ; une telle peine n’est exemplaire ni pour le condamné (qui est de fait condamné à perpétuité sans autre espoir qu’une amnistie), ni pour ceux qui entendent le jugement (comment appréhender un tel chiffre au niveau d’un individu).
Je suis intrigué de constater que la responsabilité de la banque ne soit engagée ni sur la stratégie suivie, ni sur la gestion de personnel pratiquée, ni sur les systèmes de contrôles en place. Stratégie d’aventurier sur les marchés financiers, à l’imitation de beaucoup d’autres banques ; mais la faute des autres n’excuse pas la sienne. Gestion de personnel probablement axée sur les seuls résultats, au mépris des règles élémentaires de cloisonnement des opérations (l’employé du back office propulsé au front office), des pratiques usuelles de mise au vert régulière des traders (Kerviel ne prenait quasiment pas de vacances), et système de contrôle dont il est loisible de dire qu’il a failli.
Un jugement qui laisse pantois : le fraudeur trinque au-delà de toute limite, la négligence coupable est absoute.