J’ai toujours trouvé que le suffrage universel manquait de subtilité. Il fallait, certes, accorder le droit de vote à tous sans exceptions (il a quand même fallu attendre 1945 pour le donner aux femmes) au nom de l’égalité des droits en théorie et au nom de la paix sociale en pratique. Mais en réalité, ce droit de vote laisse tomber ceux qui vivent en France sans avoir la nationalité française tout en y étant durablement implantés. Ce droit laisse perplexe ceux qui ne s’abstiennent pas, qui participent aux scrutins régulièrement, mais comprennent qu’à la fois ils ne représentent pas grand-chose au niveau de leur vote individuel et en même temps que la masse des votes de ceux qui professent la même opinion n’est que peu représentative.
Il y aurait en France 44 millions d’inscrits sur les listes électorales. Il existe peut-être 10% de français non inscrits : soit environ 4 millions de personnes. Il existe peut-être 2 millions de personnes vivant depuis longtemps sur le territoire français sans avoir la nationalité française. A chaque élection quasiment 20% du corps électoral ne vote pas, soit environ 4 million de personnes. A chaque élection environ 1 million n’expriment pas leur vote quoique en déposant un bulletin (vote blanc, vote non valide). Donc en reprenant les chiffres sur un total de 50 millions de personnes participant à la vie de la nation, il n’existe en fait que 34 millions d’électeurs exprimant leur opinion. Lors d’une élection, quand un parti (ou une coalition, ou un candidat) recueille plus de 50% et se vante d’incarner tous les français, il n’est que le représentant de fait souvent de 17 millions de votants (ou 18 millions ou 16 millions en fonction du taux d’abstention) soit 34% de tous ceux qui seraient aptes à exprimer une opinion. Ce simple chiffre donne la mesure du problème de la démocratie représentative. Comment oser se vanter d’un consensus en oubliant deux personnes sur trois. Les chiffres sont encore plus cruels quand on pèse le poids d’un candidat au premier tour d’une élection présidentielle, ou d’un parti au premier tour d’une élection législative : avec 25% à 30% ledit candidat ou ledit parti considère qu’il est le plus important en France, alors qu’en réalité il a recueilli de l’ordre de 10 millions de voix soit l’expression d’un intéressé sur cinq !
Au moins trois pistes seraient à étudier : l’élargissement du droit de vote à des résidents non français, l’obligation de voter pour tous les incrits (et si cela était possible l’obligation de s’inscrire pour tous ceux qui en ont le droit), la possibilité de choisir son bureau de vote pour chaque élection (avec les moyens informatiques actuels, cela ne devrait pas être une difficulté). Ces pistes amélioreraient la représentativité, mais ne résoudraient pas la responsabilisation des votants. L’idée (iconoclaste certes, mais c’est le privilège d’un blog) serait de pondérer les droits de vote.
Par exemple le droit de vote pourrait être pondéré :
- par l’espérance de vie résiduelle de chacun : celui à qui il reste 40 ans à vivre devrait peser quatre fois plus que celui à qui il ne reste que 10 ans ; le premier est plus apte que le second à donner son appui à des choix long-terme ; le premier est moins tenté que le second à protéger les intérêts de sa classe d’âge ; cela oterait le droit de vote aux grands vieillards, mais s’en formaliseraient-ils ?
- par le montant global des impôts payés : celui qui paye 10x en taxes de toutes sortes (foncier, habitation, revenu, ISF, prélèvements sociaux) devrait peser 10 fois plus que celui qui paye x ; celà oterait le droit de vote à des français qui n’ont plus d’attaches avec notre pays ; cela donnerait le droit de vote à des étrangers qui séjournent longtemps chez nous ;
- par le nombre de personnes inscrites au foyer fiscal : un foyer fiscal de deux majeurs avec deux enfants pouraait donner deux à chacun des majeurs ; ce ne me paraît pas absurde de prendre en compte des êtres qui existent même s’ils ne sont pas encore en état de formuler des opinions.
Toute l’idée est de raccrocher le poids du vote au poids des responsabilités assumées, de rechercher plus d’égalité entre tous ceux qui contribuent d’une manière ou d’une autre au futur commun. Celà s’appelait jadis le vote censitaire : l’idée est d’y revenir sans sombrer dans une simple approche de vote réservé aux riches. Personne ne serait éliminé, tous pourraient participer aux grands choix nationaux, avec la seule restriction que certains pèseraient beaucoup plus que d’autres. Le danger serait bien entendu que l’on revienne insidieusement aux « bourgs pourris » de l’Angleterre victorienne ou quelques électeurs assuraient l’élection de leur député, et le reste de la population devenait spectatrice. Mais il suffit peut-être de mettre un plafond au nombre de droits de vote possibles par personne.