Les rumeurs sur les dépravations sexuelles de nos excellences ont toujours été nombreuses. Et celà ne date pas d’hier depuis les débauches imaginées de reine Anne d’Autriche ou de la reine Marie-Antoinette, jusqu’aux ignominies qui ont tenté de salir Pompidou. Mais la donne change lorsque la rumeur ne colporte plus seulement des comportements condamnés par des morales ou qui seraient considérés comme « non appropriés » ainsi que le disent nos amis américains, mais laisse augurer de conduites indubitablement criminelles comme la pédophilie assortie de tourisme sexuel.
Personne ne nie que le tourisme pédophile est avéré et prospère : n’importe quel voyageur au Maroc a juste besoin d’ouvrir les yeux pour le deviner. Personne ne nie avoir entendu des bruits sur telle excellence partant se débaucher avec des jeunes brésiliens, une autre racolant dans le souk de Marrakech, une troisième écrivant explicitement son goût pour des garçons en Thaïlande (il a précisé que garçon signifiait mâle de 18 à 60 ans). Personne n’a oublié les hurlements d’indignation de bien des politiques, journaleux et théâtreux pour refuser l’extradition de Polanski aux Etats-Unis afin de régler son compte avec la justice américaine.
Il est donc vrai qu’il ne faudrait pas écouter la rumeur, et encore moins la propager. Mais il est aussi vrai qu’une atmosphère de permissivité a régné jusqu’à naguère pour ne pas approfondir les enquêtes sur les errances sexuelles de nos dirigeants quand elles dépassent les bornes de ce qui est admissible pour un personnage public (le racolage, les partouzes qui sont quand même des offrandes aux maquereaux et maquerelles), et encore moins quand elle atteignent les limites de ce qui est encore considéré comme un crime.
Luc Ferry a manqué de retenue en proclamant une rumeur sur un plateau de télévision. Des cris d’orfraie se sont élevés pour stigmatiser son attitude. Mais n’a-t-il pas agi sous le coup d’une colère juste devant le non-dit, d’une fureur sacrée devant des comportements odieux couverts par les plus hautes autorités de l’état ; comme les prophètes de l’Ancien Testament n’a-t-il pas voulu vouer aux gémonies des attitudes inacceptables ; comme les oracles grecs n’a-t-il pas voulu signifier qu’un destin inéluctable viendra frapper ? Lorsqu’elle n’est pas un substitut aux mots, à une incapacité de s’exprimer, la colère est bonne conseillère car elle permet de dire l’indicible.