Otto de Habsbourg s’est effacé. Je crois qu’il fut une personnalité exceptionnelle qui n’a pas pu assumer un destin à sa mesure en étant une sorte de migrant ne sachant plus où était sa patrie. L’Empire de son grand-père s’est effondré pour s’être laissé entraîner par une clique militariste subjuguée par la puissance du premier Reich allemand. Son père a tenté de sauver du désastre ce qui était l’essence de cet ensemble : une mosaïque de peuples, de cultures, de religions, une réussite de diplomatie étalée sur plusieurs siècles, une intuition d’Etats-Unis d’Europe centrale ; ses efforts de paix séparée ont été annihilés par les fringales territoriales italiennes, les théories fumeuses de Wilson sur les nationalités et surtout lahaine des français qui n’ont pas compris qu’il pourrait être le rempart contre un germanisme triomphant ; Charles de Habsbourg fut chassé comme un malpropre et son empire démantelé.
Otto de Habsbourg était l’incarnation de cet effort désespéré de toute cette Europe centrale de ne pas succomber aux sirènes allemandes : trop jeune pour être présent dans la lutte contre l’hitlérisme, trop marqué par ses origines pour pouvoir résister à l’invasion bolchevique, trop désabusé par les mesquineries des gouvernements autrichiens ou hongrois pour tenter de proposer des solutions. Un destin raté. Des pays qui auraient eu besoin de lui et n’ont pas su le trouver. Et après la chute du mur on en est encore à deviser sur la puissance économique de l’Allemagne, sa main-mise sur ces pays sans passé politique, sur le caractère raisonnable de cet état de fait.
Mais l’Europe centrale n’a pas de vocation particulière à être le jardin de derrière de l’Allemagne. C’est une espace ouvert sur la Méditerranée, sur la mer Noire, structuré géographiquement par le Danube, qui certes nait et coule en Bavière, qui certes est relié par un canal moderne au Rhin, mais qui est surtout l’artère qui peut irriguer tous ces pays jusqu’à son débouché naturel vers l’espace méditerranéen. La diversité des langues est un obstacle au rassemblement ; mais s’il fallait une lingua franca parions plutôt sur l’anglais. La diversité des cultures est étonnante, mais elle n’a guère de points communs avec l’esprit rhénan ou prussien. La diversité des religions fut jadis un gros obstacle, l’est-il encore aujourd’hui ?
Je crains qu’Otto de Habsbourg n’ait ressenti beaucoup de découragement à constater l’immense aveuglement de la France et des pays de l’Europe méditerranéenne face à cet espace à reconstruire.