Rosanvallon nous livre des analyses pertinentes pour conclure sur un truisme : il faut plus de solidarité sociale. Je trouve de mauvaise foi de faire de cette conclusion un apanage des idées des Lumières et de la Révolution de 1789. Tout régime qui se respecte a le souci d’assurer une certaine cohérence sociale ; certains y portent plus d’attention que d’autres ; certains la négligent trop et se trouvent en proie à des mouvements révolutionnaires.
Et quand il faut trouver des solutions pour mieux assurer une solidarité entre citoyens, de toute évidence mise à mal, ce que peu contestent, il nous ressert le plat de l’état bienfaisant qui construit des routes, entretient des écoles, paie des maîtres. Je trouve particulièrement étrange de la part d’un historien d’être aussi aveugle aux leçons du XXème siècle : l’étatisme triomphant s’est fourvoyé au moins trois fois :
- avec le bolchevisme pour travestir une idée généreuse en un asservissement au profit d’une nomenklatura,
- avec les fascisme, sans qu’il soit nécessaire de commenter,
- avec l’état providence qui à partir d’un corpus d’idées et de propositions équilibrées forgées par les expériences passées et au sortir de la plus abominable des guerres s’est fourvoyé dans la protection exacerbée de certains au détriment des plus pauvres (les chômeurs sans droits, les handicapés, les immigrés)
L’état providence, aux abois, vivant à crédit, ruiné, est si souffreteux qu’il risque de contaminer l’existence et l’idée même de démocratie. Et c’est à ce grand malade que Rosanvallon voudrait confier notre sauvetage. Il conviendrait d’abord de soigner l’Etat, lui redonner les frontières qu’il n’aurait jamais dû dépasser, redéfinir et restaurer ses fonctions régaliennes, l’empêcher de vouloir tout régenter sur le plan des moeurs, des libertés, lui faire abandonner sa culture des avantages acquis au profit de l’esprit d’entraide des véritables malheureux, désenchantés de la vie, abandonnés de la culture, victimes non pas des puissants mais de l’indifférence de leurs voisins.
Oui, je m’indigne de retrouver encore de ces vieux discours de savoir s’il faut être libéral ou étatiste, s’il faut être des Lumières et des forces du Progrès, ou bien représentant du conservatisme et de la réaction. Je m’indigne de ces éternelles références à des passés qui n’ont rien de glorieux. S’il faut chercher ne serait-ce pas, au vu des analyses de Rosanvallon, de trouver ce fragile équilibre qui fait que l’état est fort et que les citoyens sont responsables ; que l’état est efficace et que les citoyens aient du travail ; que les gouvernants soient représentatifs, non pas d’une diversité (hommes/femmes, petits/gros, blonds/bruns) qui se complaît dans des signes physiques, mais dans la variété des statuts sociaux.
Je m’indigne, Pierre Rosanvallon, que vous ayez si mal travaillé vos conclusions.