La logique comptable est considérée comme l’aboutissement suprême du raisonnement machiavélique : en son nom que de crimes, d’injustices, seraient commis. Comme les clients cupides de Monsieur Ponzi, les contempteurs de la logique comptable préfèrent la douceur des profits immédiats, les gratifiantes dépenses à court-terme, au mépris de tout souci élémentaire du long-terme. Comme les naïfs escroqués de Monsieur Madoff, ils s’enthousiasment de leur perspicacité de cigales qui enchantent le temps d’un été, pendant que des imbéciles fourmis préparent le futur.
Des rapports déjà anciens (ils datent de 2005) avaient prévenu de l’inexorable arrivée de l’hiver sous la plume des Camdessus, Pébereau et d’autres. Notre premier ministre s’était exclamé (avant le coup de tonnerre de la crise financière de 2008) que la France était en faillite. Mais rien n’y a fait, il fallait que la fête continue, « the show must go on », pourquoi détacher les guirlandes alors que l’on peut encore s’amuser ? Pourquoi ne pas réclamer encore plus d’actions en faveur de tel ou tel, plus de transferts sociaux, plus de politiques d’accompagnement.
Aussitôt les grandes voix s’élèvent pour protester contre toute politique qui risquerait de creuser les fossés entre classes sociales, qui enfoncerait les cités dans la misère, qui amoindrirait le pouvoir d’achat, qui toucherait aux acquis sociaux (la retraite, la sécurité sociale, le chômage) ; elles annoncent que tout changement serait synonyme de réaction et conduirait inévitablement à un soulèvement social. Croient-elles vraiment qu’elles protègent les plus démunis, les plus faibles, les moins doués en ne leur signalant pas que la comptabilité n’est pas un outil inventé par des ploutocrates pour opprimer les pauvres mais une simple arithmétique dont les lois sont universelles.
Comment oser se qualifier de socialiste (ou de réformateur de droite, d’ailleurs) lorsque l’on croit que l’aveuglement va protéger les faibles, que le bon cœur tout de suite est une politique, que l’incitation à la réclamation immédiate peut protéger l’essentiel des protections sociales. Certes nous avons la classe politique que nous méritons, mais quand même ne serait-il pas possible qu’ils arrêtent de fermer les yeux devant les dangers, en prétendant ouvrir les oreilles aux gémissements intéressés.