Dans son livre, « Pour une révolution fiscale », Thomas Piketty (et deux acolytes) propose une réforme fiscale qui inspirera peut-être des propositions du candidat socialiste. Il me parait utile de comprendre la philosophie qui se cache derrière la prétendue neutralité de l’économiste. Tout d’abord tentons de pister quelques uns de ses préjugés. J’en ai pour ma part relevé quatre qui me gênent d’autant plus qu’ils ne sont pas explicites :
- Dans son univers où tout est évalué pour les besoins d’une meilleure efficacité fiscale, il oublie des travaux qui existent pourtant : la tenue du ménage d’une maison, l’élevage des enfants ; je ne suppose pas qu’il les considère comme non nécessaires, non utiles ; pourquoi donc sont ils éliminés de sa comptabilité ? Pourquoi considère-t-il comme plus gratifiant pour la collectivité d’être technicien(ne) de surface pour le compte d’autrui, ou gardien(ne) d’enfants des autres ? Ces activités lorsqu’elles sont officiellement rémunérées par des tiers entrent dans le revenu national (et donc dans le PIB), si elles sont effectuées à titre gratuit elles sont ignorées. Ce ne serait pas très grave, s’il ne s’agissait que d’un biais dans la comptabilité publique, le problème est que Piketty considère qu’une personne au foyer est une personne oisive : c’est ce qui ressort de sa suppression du quotient familial, la personne au foyer est censée avoir un revenu nul, la personne qui dispose des revenus paye au taux progressif sur l'ensemble de ses revenus ; en réalité le quotient familial fonctionne comme si celui qui gagne le plus ou qui perçoit seul des revenus paie une contribution de la moitié de ses revenus à l’autre qui travaille à la maison. L'idée sous-jacente de Piketty est la mise à l'index du travail au foyer.
- Dans sa recherche d’une fiscalité juste il passe subrepticement de la notion d’effort proportionnel (chacun paye des impôts en relation avec ses gains) à la notion de taux progressif d’imposition ; je ne sais pour ma part distinguer si une taxation de 60% au-dessus d’un certain niveau de revenu est plus juste qu’une taxation de 55% ; de toute évidence ce n’est qu’une pétition de principe sauf à dire qu’il existe un niveau de gain inadmissible qui implique et que la progressivité de l’impôt sur le revenu grimpe jusqu’à 100%. Une progressivité plus forte du taux d’imposition sur le revenu n’est pas en soi plus juste, elle procure seulement plus de ressources fiscales prélevées sur une minorité. L'idée sous-jacente de Piketty est le plafonement des revenus.
- Pour mieux traire le contribuable il imagine de le taxer sur un loyer fictif qu’il percevrait s’il était propriétaire. Sa justification, en dehors du fait que cela a déjà existé, ou existe ailleurs, est principalement de remettre sur un même niveau et les contribuables locataires dont le loyer ampute les revenus et les contribuables propriétaires qui par définition ne paient pas de loyer. En dehors de l’étrangeté d’avoir à payer un impôt sur un revenu qu’on n’a jamais perçu et qu’on ne percevra jamais, l’idée sous-jacente est de rendre sans attrait la possession individuelle de son logement et de passer insensiblement à la socialisation de l’ensemble de l’immobilier. Ce peut être une option, mais cela va à l’encontre du désir de millions de familles. L'idée sous-jacente de Piketty est la dépossession du foncier individuel.
- Dans ce travail sur la fiscalité, donc théoriquement centré sur une optimisation et une simplification des recettes, curieusement il nous pond un petit chapitre sur le revenu d’autonomie des jeunes adultes qui participe au volet dépense et est donc hors-sujet. Néanmoins cette impérieuse nécessité qu’il a ressentie de l’introduire dans cet ouvrage révèle une dernière fois son préjugé fondamental contre la famille : il veut passer d’un système où les classes aisées aident leurs enfants et les moins riches bénéficient de bourses, à un système qui favorise l’autonomisation des jeunes par rapport aux adultes qui les aident pendant la période de leurs études ou de leur apprentissage. L'idée sous-jacente de Piketty est l'affaiblissement du lien familial.
Le livre de Piketty est donc bâti, non pas seulement sur une analyse des moyens de simplifier et rendre plus juste la perception des impôts, mais aussi sur la volonté de changer la société dans les domaines de la propriété et de la famille. Le titre qu’il arbore « la révolution fiscale » est en grande partie un mensonge puisqu’il s’agit d’une révolution sociale induite par une nouvelle fiscalité.
Dans une deuxième partie j’examinerai quelques une de ses analyses qui ne me paraissent pas justifier les conclusions auxquelles il arrive.