Votre article (L'automne de lAlliance atlantique par D. Moïsi dans Les Echos du 4/10/2010) soulève le problème de ces pays (ou entités politiques) qui refusent d’assumer un rôle à la hauteur de leur puissance. Les Etats-Unis continuent sur leur erre de superpuissance, mais en sachant que leurs moyens s’amenuisent. La Chine semble être encore en période d’adolescence, et n’a pas encore complètement assumé sa stature nouvelle. Et l’Europe ? Un trou noir qui absorbe tout et n’émet plus rien : pas de politique au Moyen-Orient, pas de politique vis-à-vis de l’Inde, pas de négociation sur les parités euro/dollar/ yuan, une doctrine timide sur la prolifération nucléaire.
Les américains ont vieilli prématurément . La chute de leur meilleur ennemi (l’URSS) les a laissés sans objectifs : la lutte contre le terrorisme international ne justifie pas leurs outrances en Irak et en Afghanistan. Leur désindustrialisation est soudain apparue comme un signe alarmant et qu’il était urgent de ne pas tout miser sur quelques nouvelles technologies pour affronter les pays émergents dans la compétition internationale. Leur monnaie est une arme dangereuse : son éventuel discrédit peut entraîner une réappréciation complète du rôle mondial des Etats-Unis. Confusément on devine que le pays tout à la fois est conscient de ses faiblesses, et encore fort pour réagir au-delà de ses moyens réels.
Les chinois sont comme un de ces élèves surdoués qui laissent éperdus d’admiration devant tant de dons, tant de fulgurances ; mais aussi dont on devine la fragilité, s’il ne réussit pas à surmonter des défis gigantesques que sont les incohérences de niveau de vie, la menace du déclin démographique, les erreurs d’aiguillage dans les investissements. Trop douée, la Chine réussira-t-elle à bien jouer tous ses atouts? Et, vous avez raison, pour l’instant, elle refuse de s’impliquer avec sérieux sur les grandes menaces mondiales (la prolifération nucléaire en particulier), et se déconsidère sur des conflits mineurs, ou des amitiés qui ne sont plus de son âge.
L’Europe devrait être l’honnête courtier entre ces deux sphères. Parce qu ’elle est aux prises avec des problèmes identiques à ceux des Etats-Unis, comme la menace de la désindustrialisation, la surconsommation, elle pourrait y apporter ses propres idées de solution. Parcequ’elle n’est pas une entité impérialiste, n’ a plus depuis longtemps une quelconque idée d’une mission de redresseuse de torts, et est devenue une assoiffée de paix ; toutes notions qui sont profondément ancrées et affirmées par la Chine.
Le général de Gaulle avait eu l’intuition de ce rôle. Que n’est-il suivi par des personnalités qui seraient aptes à mener un dialogue triangulaire entre les trois superpuissances économiques du monde. Mais tout le monde comprend que ce n’est pas l’organisation européenne d’aujourd’hui, empêtrée dans son fatras juridico-fonctionnaire qui peut se lance dans une telle aventure diplomatique.