Moïsi récidive. Certes la guerre entre la Russie et l’Ukraine est révélatrice. Il croit en voir les conséquences dans la résurrection de l’OTAN, la solidarité européenne autour des valeurs démocratiques incarnées par l’Ukraine, la possibilité d’une émergence d’une défense européenne.
Cette analyse colle parfaitement avec l’opinion générale de la sphère journalistique de l’Occident : une sorte d’enthousiasme qui dans un romantisme échevelé croit voir la naissance d’une nation à l’instar de la libération de la Grèce du joug ottoman ; qui cantonne la Russie à son rôle d’état cynique qui se conduit comme l’Allemagne de L’Anchluss et des Sudètes et qui sera punie de la même façon par la chute du régime et la condamnation de ses dirigeants ; qui inonde l’Ukraine de dollars par milliards pour mieux aider la création d’une démocratie libérale hors de la servitude et de la cruauté venue des steppes orientales.
Ce roman s’ajuste mal à quelques constatations .
La première est que l’Ukraine est un symbole un peu difficile à admettre. Jadis célèbre pour ses exportations d’escorts girls particulièrement affriolantes pour les capitales d’Occident, d’hommes de main très efficaces et expéditifs pour les entreprises de gangstérismes en Allemagne et en Belgique, d’enfants vendus par des mères porteuses à des prétendus parents en mal d’enfants. Toutes activités aux mains d’une kleptocratie qui ne le cède en puissance qu’à celle peut-être de Russie. Le gentil Zelensky n’étant d’ailleurs qu'une des créatures portées au pouvoir par un oligarque notoire. La Russie serait-elle pire que l’Ukraine qu'il est difficile de parler d’un combat des valeurs.
La deuxième est que les frontières de l’Ukraine sont au mieux imprécises. La loi internationale a bon dos pour revendiquer des limites indéfendables. La Crimée, devenue ukrainienne par un caprice de Kroutchev quand il était premier secrétaire au temps de l’URSS, ne l’est pas par l’histoire car elle serait alors turque ou russe ou tatare, ne l’est pas par la culture puisqu’une petite minorité y parle ukrainien. Quant aux républiques autonomes du Donbass, la question ne peut être résolue que par un référendum indépendant et certainement pas par une occupation. La violation du droit international qui ferait de la libération de ces territoires du joug russe un devoir des nations dites libres est au mieux un masque qui cache des désirs inavoués : le Kosovo a été arraché à la Serbie, Jérusalem est et le Golan annexés par Israël, Taiwan proclamé quasi-indépendant de la Chine sans qu’un remède immédiat et coercitif ne soit adopté par l’ONU ou par des nations porteuses de la moralité universelle.
La troisième est que l’on veut trop assimiler un pays à son dirigeant : la Russie à un Poutine qui est indubitablement un tyran aveuglé, l’Ukraine à un Zélinsky courageux et habile communicant. La réalité des intérêts des pays dépasse les contingences qui mettent des peuples entre les mains en particulier d’un Vladimir Poutine qui a complètement surévalué son armée, qui a des difficultés à la contrôler, qui risque à tout moment d’être renversé par une garde prétorienne révoltée et dont les capacités de nuisance sont tellement réduites que les observateurs doutent qu’il puisse même maintenir son emprise actuelle sur les territoires qu’il a envahi.
Et du coté occidental loin de cette alliance harmonieuse il est clair que les intérêts divergent.
D’abord entre les Etats-Unis et les allemands. Les américains ont tout fait pour que le conflit se développe entre Ukraine et Russie afin de couper la route du gaz pas cher pour les allemands et de revenus substantiels pour les russes ; ils ont d’ailleurs confirmé leurs intentions en faisant sauter le pipe North Stream au fond de la mer Baltique : cela permettra d’exporter leur gaz de schiste sur le long terme même en cas de rabibochage avec les russes.
Ensuite entre les français et les allemands. Le prétendu couple franco-allemand n’existe plus ; il faut dire qu’il n’en avait jamais été question en Allemagne qui avec un cynisme qui date de dizaines d’années a toujours tenté d’étrangler l’avantage compétitif procuré aux français par leur exceptionnel investissement dans des centrales nucléaires ; qui avec application a toujours torpillé les efforts de créer une armée européenne et surtout une industrie de l’armement européenne ; qui avec détermination a élargi l’Union Européenne à des pays dont elle entendait faire des arrières cours de la prestigieuses industrie allemande : la Tchéquie, la Pologne, la Bulgarie, la Roumanie.
Enfin le plus gênant est l’idée d’une guerre par procuration pratiquée par tous les occidentaux. Les Etats-Unis, guéris de l’intervention directe après les échecs de l’Afghanistan et de l’Irak, ont torpillé par procuration la Russie (attrition de son armée et de ses finances), l’Allemagne (perte de compétitivité de son industrie), l’Union Européenne (réengagée sous la houlette des généraux américains, rééquipée en matériels américains). Les succès sont prodigieux à court-terme au vu d’un investissement limité à du dollar-papier; ils sont néfastes pour la confiance que le monde pouvait avoir dans l’hégémonie américaine soucieuse de réguler le monde ; ils sont néfastes pour l’image d’un pays qui se révèle toxique dans la petitesse avec lequel il gère son idéologie de l’America first ; ils donnent une perspective inquiétante et belliciste à l’avenir de la seule grande question pour l’avenir des Etats-Unis : comment accueillir la montée en puissance de la Chine.
Les pays européens se félicitent d’anéantir la force menaçante des russes en perdant et leur âme (se défendre avec des mercenaires a toujours signé une abdication prochaine), et leur prospérité économique (perte de compétitivité qui s’accélère avec le reste du monde). Un mauvais objectif pour des peuples abrutis par le consumérisme et le vieillissement.