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23 février 2017 4 23 /02 /février /2017 10:25

Comme le rappelait Alain Finkielkraut, curieuse histoire de France que celle de Patrick Boucheron où sont ignorés Rabelais et Racine, La Fontaine et Proust ; et je dirais aussi Richelieu et Saint-Simon, Chateaubriand et Céline. Plus grave encore c’est une histoire sans chair humaine : les paysans sont au abonnés absents sauf pour parler de la Politique Agricole Commune de 1956 (extravagant pour un pays à la tradition rurale aussi forte) ; les commerçants ne sont cités que pour la traite négrière, les artisans passent à la trappe, et quant aux industriels ils n’existent que comme figurants d’une politique colbertiste. Il pense être novateur en en ne traitant que des rapports d’une entité dite France et des étrangers, d’une histoire de la frontière entre ce qui serait la France et ce qui serait l’étranger. Le sujet est pensable, mais il n’a pas été traité. Il transforme cette histoire d’une limite, d’une zone floue de fécondation ou de conflit en une histoire du pays. Ce livre est une imposture. Aimé Césaire et Franz Fanon sont de mauvais poètes, de plus anti-français, il est abusif de les présenter comme des symboles de notre histoire. La révolte kanake de 1917 ou la première idée d’un code noir en 1688 sont des phénomènes essentiels pour une histoire de la Nouvelle Calédonie ou des Antilles, et accessoires par rapport aux mutineries de 1917 sur le front, ou de l’échec des flottes de Louis XIV sur les mers. Il est hors-sujet de les inclure dans une histoire de la France même mondiale. Pour tenter d’expliquer l’irritation profonde qu’a suscitée en moi la lecture de ce pensum, j’ai choisi quelques exemples dans tout ce fatras, que j’ai classé sous différents motifs.

 

Les tics :

  • Répétition inlassable de « l’homme de couleur » à la place de nègre, d’amérindien, d’indien ou de jaune ; « l’homme de couleur » s’oppose curieusement au blanc qui est par définition de toutes les couleurs par opposition au noir qui est l’absence de couleur ;

  • Ressassement du terme d’indigène, souvent mis entre parenthèses afin de suggérer toute une connotation de mépris du colonisateur pour le colonisé ; quoique, à la réflexion, un colonisateur né dans le pays que ses aïeux ont colonisé est techniquement un indigène ;

  • La mise entre guillemets de mots ou d’expressions de toutes les expressions que les auteurs ne peuvent citer ou écrire qu’avec des pincettes ou en se bouchant le nez : « nègre », « mission civilisatrice », « les Autres », « les indigènes », et j’en passe ; comme si ces mots n’étaient plus français.

  • Orthographe féministe comme cette superbe « Français.es »

Le charabia :

Livre écrit dans un style terriblement prétentieux qui tombe parfois dans un charabia parfaitement incompréhensible. Yann Potin, entre autres auteurs est le brillant auteur d’une des phrases les plus incroyables :

  • « Il y use ainsi d’une étroite dépendance à valeur mythographique, quasi religieuse quoique pleinement schizophrénique, entre la nécessité de la défaite et la certitude de l’identité. »

Mais Pascale Barthélémy n’est pas en reste avec une phrase presque compréhensible à propos de l’exposition coloniale de 1931 : « Une nation en crise dont l’identité fragile trouverait quelque réassurance à exposer les Autres ».

Ou encore cette petite merveille : « L’institution du secret, de la franc-maçonnerie aux manœuvres diplomatiques est le revers solidaire d’une illumination des corps et des esprits. Si la lumière a changé de source, c’est qu’elle propose de mettre en accord la raison et la sensibilité ».

Mais toutes ces petites mains ne font que travailler dans la ligne du maître, Patrick Boucheron, qui nous assaisonne de ses clichés sur la « crispation identitaire », ses fulgurances à prétention poétiques comme « les passions tristes du moment », ses trouvailles de pédant avec « l’étrécissement identitaire », et le plus ridicule sa prétention à vouloir appeler l’introduction ou la préface qu’il a rédigée : « Ouverture ».

 

Les approximations :

Elles sont innombrables. Je ne cite que celle concernant un des épisodes les plus douloureux de notre histoire puisqu’elle concerne la Grande Guerre.

Les troupes venant des colonies ont subi pendant la guerre 1914-1918 « des pertes équivalentes à celles des armées métropolitaines ». Bruno Cabanes a oublié de préciser en proportion des troupes engagées.

Toujours pendant la guerre de 1914-1918, le même Bruno Cabanes écrit : « Les colonies fournissent au marché européen des céréales, du bois et de la viande ». Comme il le dit lui-même la phrase suivante, il ne s’agit pas à proprement dire de colonies françaises mais de l’Argentine, le Canada, les Etats-Unis.

 

L’idéologie :

  • Il n’y a plus d’invasions barbares qui mettent fin à l’empire romain mais des migrations ; admirons l’euphémisme qui cache la profonde marque que les germains et autres tribus eurasiennes ont infligé : villes abandonnées, construction de remparts pour toutes celles qui ont survécu, baisse démographique, rupture dans quasi toutes les listes épiscopales. De la même façon plus de normands pour nous envahir et ravager bords de mers et de fleuves, mais une « diaspora viking ». Insupportable manière de plaquer sur le passé les débats d’aujourd’hui sur l’immigration.

  • Pour l’émeute du 13 mai Alger en 1958, Sylvie Thenault met sur le même plan la condamnation à mort par un tribunal et l’exécution du terroriste Aberrhamane Taleb, concepteur des bombes qui ont ensanglanté la ville d’Alger et l’exécution sommaire de trois soldats français faits prisonniers par des insurgés algériens. Déplorable manifestation d’une détestation de la colonisation française en Algérie et d’une glorification de la lutte du FLN.

  • Sur la bataille de Poitiers en 734, on frise le négationnisme. D’abord la date n’est pas choisie, mais une autre fictive, 719, qui serait celle d’un partage de butin d’une troupe musulmane près de Perpignan. Ensuite dans le texte il est précisé que la bataille de Poitiers n’est qu’une escarmouche, livrée on se sait où exactement entre des francs ridicules (« des barons assis sur d’énormes baudets ») et des musulmans au bout d’une épopée glorieuse. La méthode est classique : nier un fait difficile à cerner, pour ne pas parler de l’évidence qui est que l’invasion musulmane a bien arrêtée par quelqu’un au VIIIème siècle dans ce qui était l’Aquitaine et la Provence. Toujours cette même rétroprojection dans l’histoire de débats actuels sur la place de l’Islam en France.

 

Tous ces exemples pour dire que l’Histoire mondiale de la France de Patrick Boucheron et consorts n’est pas un outil de connaissance de l’histoire mais une enquête ethnologique sur les idées et les a priori de ceux qui ont rédigé ce livre. Une petite partie de la population, fonctionnaires, professeurs, qui s’abrite sous l’autorité d’un membre du Collège de France. Une minorité représentative surtout d’elle-même, mais qui malheureusement bénéficie d’une aura incompréhensible dans les médias. Alors cette histoire falsifiée de la France est présentée par les Léa Salamé et autres porte-paroles du même acabit comme un monument de la lutte contre le racisme, le colonialisme, le récit national, alors qu’il n’est que le triste constat de la médiocrité de ses concepteurs.  

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