Dominique Moïsi s’extasie, dans Ouest-France, avec peu de mesure, sur Angéla Merkel : l’accueil des migrants en 2015, le traitement initial de la crise grecque en 2010, la politique à l’égard de la Russie et de la Chine.
Pas un mot sur sa politique écologique (ou plutôt populiste à l’égard des verts) qui a consisté à bannir l’énergie nucléaire au profit d’énergie renouvelable (éolien massivement) dont le bilan carbone est loin d’être assuré, et le bilan économique au moins peu clair. Elle a favorisé pour compenser le manque d’énergie, le développement à court terme des centrales au lignite (la plus polluante des énergies fossiles), et à moyen terme des centrales au gaz dépendantes d’un approvisionnement russe par le pipe North-Stream II. Elle a mis en œuvre cette politique à sa façon bien caractéristique : pas de concertation avec ses partenaires en particulier français, un seul slogan Germania über alles.
Une approbation de sa politique migratoire qui me paraît être et une erreur stratégique et une erreur méthodologique. Elle part, à son habitude sur un constat réaliste pour aboutir à des solutions malheureuses pour l’Europe : les allemandes ne font plus d’enfants et la prospérité de l’industrie allemande va en conséquence manquer de bras, en particulier de bras peu chers. En alternative à la mise en domestication des pays voisins de l’est, elle joue une importation d’un million de turcs. Double avantage pour elle : elle satisfait le besoin de productivité des industriels allemands, et conclut une sorte d’alliance avec Erdogan sur la base d’un compromis non explicite : « j’admets vos ressortissants sur le territoire allemands de temps à autre et vous bouclez la frontière pour les autres migrants, qu’ils aillent passer à travers d’autres frontières vers d’autres pays ». Le cynisme de cette attitude me paraît à courte vue pour la perpétuation de la nation allemande et une attitude méprisante pour ses prétendus partenaires qui, bien entendu n’ont été avertis de rien. L’alliance France-Allemagne devient un leurre malgré les efforts désespérés des français et autre méditerranéens.
Une seule réprobation : son attitude ambigüe avec la Russie et l’Allemagne ; attitude qu’elle partagerait avec les dirigeants français. Moïsi, pleure sur le manque d’alignement sur la politique américaine. C’est son opinion. Il est possible d’en avoir une autre. Merkel essayé de jouer un double jeu : une alliance avec les Etats-Unis au sein de l’OTAN tout en protégeant ses intérêts industriels avec la Russie (North Stream II en particulier, mais pas seulement) et la Chine (un grand marché qu’elle n’entend pas sacrifier). Sa vision de boutiquière, rien perdre, tout gagner, la fait passer à côté de l’essentiel : pourquoi jeter la Russie dans les bras de la Chine, deux pays qui n’ont rien en commun, alors que l’Europe de l’Atlantique à Vladivostock a des potentialités fabuleuses ; pourquoi feindre de vouloir avoir une politique étrangère adulte sans avoir une armée digne de ce nom ; même les Etats-Unis sont indignés de l’avarice allemande ; quant aux français ils s’échinent, sans aucune reconnaissance de la part des européens, à maintenir vaille que vaille un outil militaire qu’ils n’ont pas les moyens de développer pour influer vraiment dans la géopolitique mondiale.
Merkel est l’archétype de ces politiques qui croient en la valeur de l’absence de pensée stratégique, et privilégient sans barguiner la navigation à vue qui permettrait de faire triompher Germania. Dommage pour ses partenaires au sein de l’Europe, et dommage pour l’Allemagne, car si Merkel a pu se permettre de jouer ce jeu si longtemps, elle le doit à des triomphes économiques fruits des intuitions stratégiques de son prédécesseur Gerhardt Schröder. Moïsi avoue ce bénéfice d’opportunité pour Merkel, mais se laisse abuser par des signes extérieurs de sympathie. Il me paraît court de vouloir juger des dirigeants politiques sur leurs qualités de communication.